Niamey, 24 jan (ANP)- Il y a quelques jours, la nouvelle, comme une trainée de poudre, a fait le tour du pays. Il s’agit de la disparition de la célèbre pierre sacrée ‘’ Toungouma’’ de Lougou, un village de la Préfecture de Dogondoutchi, Région de Dosso. Le Préfet de cette entité administrative, M Hamidou Diaouga, joint par téléphone par notre Correspondant Régional, raconte :’’C’était le 2 janvier 2018 que j’ai été saisi au sujet de la disparition de la pierre. Il m’a été rapporté qu’un individu, dont l’identité n’a pas été révélée, de la Commune de Dankassari, aurait volé la pierre ‘’Toungouma’’. Ayant constaté sa disparition, les gardiens de la pierre ont retrouvé sur les lieux des traces de moto qu’ils ont suivies jusqu’au village de Sabaha, distant de 7 kms de Dankassari. Les traces conduiront les poursuivants à la maison de l’individu qui a emporté la pierre. Ce dernier, sans hésiter, a reconnu s’être rendu à Lougou, prendre la pierre sur instructions de son propriétaire, un génie, s’il vous plait. L’homme précisa que de son propre chef, il serait incapable d’accomplir un tel acte’’. Voilà pour les faits.A ce jour, mercredi, 24 janvier 2018, ‘’Toungouma’’ reste toujours introuvable.Quelle est l’origine de cette pierre ? Son histoire ? Et comment elle rend justice ? Eléments de réponse dans ce reportage poignant de M Amadou Ousmane (journaliste-écrivain) publié par l’ANP dans sa Revue ‘’Nigerama’’, Numéro 3, décembre 1988.
Je marchais lentement sur cette piste pour chèvres au-dessus de la colline qui surplombe Lougou, petit mais vieux village à 50 km à l’Est de Dogondoutchi. Devant moi, a 100 m plus loin, Dogo (en français «haut») comme on appelle cet homme de 50 ans, malgré le paradoxe de sa courte taille.A l’arrière, Baoura, cet autre homme illustre de I’ Arewa; illustre parce qu’il est le chef animiste autour de qui tourne toute l’histoire de cette contrée. A cause de ses origines, comme à cause de certains pouvoirs magiques (tel celui de faire pleuvoir à volonté) qu’il dit détenir.Au bout de 5 km d’une marche difficile, nous parvînmes enfin à destination. Au creux d’un ravin, près d’un arbuste, un caillou (que dis-je) une pierre àla forme d’une tête d’homme. Trente centimètres de diamètre en moyenne. Un simple caillou; mais alors tout ce qu’il y a de plus caillou. Pourtant. ..L’homme qui marchait au-devant de moi s’arrêta brusquement et, se tournant vers moi, me dit : « Répète après moi : Toungouma doutchin Daoura. « Toungoumari toungoum, toungoum, a tai da dâria, a como da houshi! ».Cela veut dire, pour ceux qui ne parlent pas Haoussa : « Salut à toi, Toungouma, pierre illustre du Daoura. On vient te voir en riant, on s’en retourne en pleurant ».Nous répétâmes après lui un certain nombre de fois. Puis, comme pour nous rassurer, il ajoute : « Approchez, venez voir la plus illustre des pierres ».Illustre ? Le mot ne me parait pas trop fort; car comment qualifier une pierre qui selon ses détenteurs, a le pouvoir de rendre justice ?J’ai voulu connaitre son histoire et voici en traduction sure ce que m’ont raconté Dogo et Baoura. Toungouma a été amenée du Royaume du Bornou, il y a à peu près 300 ans par le premier Baoura et la première Sarraounia venus en Arewa. A l’origine déjà, elle rendait la justice et était le plus honnête des juges. Lorsqu’un conflit oppose deux ou plusieurs personnes et que celles-ci sont amenées ici, il n’y a pas de doute Toungouma découvre le coupable.- Mais comment?«Les accuses sont conduits ici par moi (Dogo) et deux de mes adjoints qui servent de porteurs, car Toungouma ne peut juger qu’étantportée dans une «talla» (sorte de balançoire). Les plaignants se tiennent à quelques mètres de la pierre portée pendant que je récite des louanges comme tout à l’heure. Au bout d’un instant, Toungouma s’énerve et commence à faire tourbillonner ses porteurs.Aussitôt, l’un des accuses s’approche et fait sa déposition. A la fin, il doit dire ‘: «Toungouma, si je suis coupable, fracasse-moi le crane devant tous ces témoins. » En effet, le procès est public et l’on a vu des jours ou 100 a 200 personnes y ont assisté. Donc, l’accuse fait sa déposition et attend. S’il est innocent, la pierre fait reculer ses porteurs dans un sens opposé. Dans le cas contraire, c’est-à-dire, s’il est coupable, elle exerce une telle poussée sur ses porteurs que ceux-ci sont entrainés par une force invisible en direction de l’accusé. S’il tient à sa tête, il se jette à plat ventre et tout le monde sait alors qu’il est coupable.»Et comme s’il avait prévu ma question, Dogo ajoute : «II n’y a jamais eu d’erreur l». Mais il y a eu des mécontents. On raconte que plusieurs tentatives pour supprimer la pierre ont été vaines. Un Peulh ayant été déclaré coupable à la suite d’une affaire de dégâts dans un champ, s’était emparé d’elle et a essayé de la jeter au puits. II parait que c’est lui qu’on a repêché du puits.La possession de Toungouma est héréditaire, d’une «Sarraounia» (reine) à l’autre. Mais les reines sont de la même famille. Elles sont élues selon le rite suivant : on tue un chien que deux solides gaillards portent sur la tête pendant que toutes les femmes de la famille royale sont réunies sur la place publique.Le chien mort entraine sous une force invisible ses porteurs jusque devant l’une des femmes. Celle-ci est alors élue reine à son grand désenchantement, puisque curieusement, cela équivaut à une condamnation.En effet, m’expliquent mes interlocuteurs : «la reine est tenue d’habiter Lougou qu’elle n’a plus le droit de quitter jusqu’à sa mort. Elle ne doit plus vivre dans la case que ses enfants, ne doit plus se tresser, ne doit porter d’autre habit qu’un pagne blanc, et ne doit enfin, théoriquement pas lever la tête, pour voir le ciel. même « Toungouma, si je suis coupable, blesse-moi la tête devant tous ces témoins !» case que ses enfants ne doit plus se tresser, ne doit porter d’autre habit qu’un pagne blanc, et ne doit enfin, théoriquement pas lever la tête pour voir le ciel. »Je n’ai pas eu la chance d’assister à un procès : «Jeudi n’est pas un jour favorable» m’a-t-on dit. Mais,j’ai vu la reine, dignement assise dans son pagne blanc, au fond de sa case qu’elle n’a pas quittée depuis des mois, la tête baissée «pour ne pas voir la couleur du ciel» et je me suis dit qu’il faut une foi inébranlable dans la croyance pour observer aussi scrupuleusement les règles d’une religion tout compte fait en voie de perdition.«Va, jeune homme, ne cherche pas à comprendre, car tu ne pourras pas !» m’a-t-elle dit simplement.Ce fut le seul mot sorti de sa bouche, et c’est ainsi que nous nous sommes quittés. Amadou Ousmane (Article paru dans Nigerama No 1, Aout 1974, et Nigerama No3, décembre 1988)