Niamey, 08 août (ANP)-L’exploitation artisanale de l’or fait partie de l’histoire du continent africain. Elle a commencé depuis plusieurs siècles notamment au Sénégal, en Guinée, en Côte d’Ivoire, au Ghana (Gold Coast), au Mali, au Burkina et au Niger, qui sont des pays renfermant des roches porteuses de minéralisation en or du Craton Ouest Africain.
Un nigérien du nom de Maman Illatou Oumar El Farouk a mis au point un outil innovant et opérationnel appelé « LIPTAKOR » qui permet de moderniser l’exploitation aurifère et d’apporter des réformes dans le secteur.
A cet effet, l’approche de la modélisation d’accompagnement a été utilisée pour modéliser les relations possibles entre les acteurs ainsi que les dynamiques et les interactions entre les acteurs et les ressources du territoire. A partir de cette modélisation basée sur les données bibliographiques, les statistiques et les observations de terrain, un processus de gamification, a permis la conception d’un territoire fictif représentant la rivière Sirba et matérialisé sur un plateau.
A chaque partie prenante de l’orpaillage a été attribué un rôle spécifique, les choix technologiques des pratiques d’orpaillage sont matérialisés sur un catalogue et les externalités sont représentées par des indicateurs de suivi.
Le jeu sérieux a été co-construit avec des itérations entre les chercheurs, les acteurs de l’orpaillage (orpailleurs légaux et illégaux, responsable des puits et des sites, chefs coutumiers, maires, représentant de la population locales, les ONG de l’environnement, etc.) et les institutions étatiques, afin de prendre en compte leurs remarques pour faire évoluer l’outil au plus près de leurs connaissances du terrain et des enjeux.
Les travaux de recherche ont donc permis d’une part de comprendre le fonctionnement des interactions hydrogéologiques, hydrochimiques et physico-chimiques entre les activités humaines et les ressources en eau disponibles sur les sites d’orpaillage, mais aussi d’analyser et de modéliser la complexité socio-écologiques du Liptako nigérien. Les outils de transfert de connaissances développés ont permis de restaurer un dialogue entre la recherche et le terrain et entre les orpailleurs et les scientifiques.
L’exploitation minière artisanale de l’or a vu le jour depuis le 13ème siècle dans l’empire du Mali (Campbell, 2004), qui s’étendait jusqu’à Agadez au Niger. Cet empire était considéré comme l’un des plus grands producteurs d’or au monde. Ainsi au 14ème siècle, il a été rapporté que le pèlerinage en 1324, du roi Kankou Moussa, considéré comme l’homme le plus riche de l’époque, a permis d’inonder le marché mondial de l’or.
Dans le Liptako nigérien, à la frontière commune entre le Niger, le Burkina et le Mali, l’or est exploité de manière artisanale depuis plusieurs années. Ladite exploitation a connu une grande ampleur à partir de 1980, suite à des sécheresses récurrentes, qui ont conduit la population a abandonné leur principale activité qu’est l’agriculture, pour s’adonner à l’orpaillage.
L’extraction artisanale de l’or est ainsi devenue une activité essentielle pour la population, leur procurant des revenues de subsistance et des milliers d’emplois, tant au niveau local que sous-régional. Elle rehausse le PIB des Etats du Liptako Gourma.
Au Niger, l’or artisanal est extrait historiquement dans les régions de Tillabéri et d’Agadez. Cette activité s’est également étendue avec les récentes découvertes dans la région de Maradi. Toutefois, il convient de souligner que l’Exploitation Minière Artisanale et à Petite Echelle (EMAPE) favorise la dégradation de l’environnement et présente plusieurs enjeux sur les plans économique, social, sanitaire et sécuritaire. A cela s’ajoute le défi lié à l’exportation frauduleuse de l’or artisanal.
Actuellement, le Niger dispose d’une seule mine d’or industrielle et une centaine de sites d’orpaillage contrairement au Burkina et au Mali qui disposent respectivement de 12 et 13 mines industrielles.
Selon le rapport ITIE 2021, les exportations d’or des EMAPE au Niger ont atteint 44,146 tonnes pour une valeur douanière de 370 620 409 394 FCFA (DGD, 2021), avec comme principales destinations les Emirats Arabes Unis. Cette exportation est nettement inférieure aux données de la production et de la commercialisation qui sont respectivement de 1 995,42 g et 14 02,827 Kg. Cet exemple démontre une incohérence entre la production, la commercialisation et l’exportation d’or au Niger. Selon les données de terrain, le manque de stratégie de gestion efficace et la porosité des frontières nigériennes sont les principales causes des flux illégaux de l’or artisanal nigérien.
Pourtant, la demande mondiale en or augmente considérablement. En conséquence, le prix de l’or a connu une augmentation significative depuis les années 2000 (inférieur à 500 US$/once troy jusqu’en 2005, dépasse 1200 US$ en 2010 et atteint 2300 US$ au premier semestre 2024). Les exploitations minières artisanales de l’or représentent 15 à 20% de la production mondiale (USAID, 2017).
Enjeux environnementaux, socioéconomiques, sanitaires et sécuritaires de l’orpaillage au Niger
Les techniques mises en œuvre lors de l’extraction, du traitement et de la récupération de l’or sont malheureusement rudimentaires, avec une utilisation accrue de substances chimiques toxiques, comme le cyanure, le mercure et les acides. Cela engendre des impacts environnementaux majeurs comme la destruction du paysage et des habitats fauniques, la dégradation du sol et du couvert végétal, la dégradation des terres cultivables, la contamination des nappes d’eau souterraines et superficielles ainsi que la dégradation de la santé humaine avec l’apparition des maladies pulmonaires et dermatologiques.
Selon les résultats des travaux d’Oumar El Farouk et al. (2022), les concentrations en éléments traces métalliques, de certains puits et des forages des sites d’orpaillage du Liptako nigérien, sont supérieures aux valeurs de référence de l’OMS et aux normes nigériennes. Ces éléments métalliques sont constitués de l’arsenic (202.72 µg/l pour une norme OMS de 10 µg/l), du baryum (1344,26 µg/L pour une norme OMS 1300 µg/l et 700 µg/l pour la norme française) et du manganèse (956 µg/l pour une norme OMS de 400 µg/l et une norme française de 50 µg/l). La consommation d’une eau avec des concentrations élevées en arsenic ou en d’autres éléments traces métalliques, peut causer un empoisonnement qui pourrait conduire à la mort.
L’arsenic est extrêmement toxique pour les humains. L’exposition à l’arsenic conduit à une maladie appelée Arsenicisme, qui se manifeste par des troubles dermatologiques avec l’apparition des tâches au niveau des plantes de pied et des paumes de main, pouvant aboutir à un cancer selon la durée d’exposition et les conditions de vie des consommateurs.
Sur le plan économique, la gestion actuelle des EMAPE engendre de grosses pertes au niveau des ressources fiscales. Compte tenu de l’exploitation anarchique des zones minéralisées en or, laissant ces zones partiellement exploitées et l’or faiblement récupéré. A cette perte s’ajoutent celles que l’Etat du Niger enregistre dans la mobilisation des recettes fiscales.
Sur le plan social, les impacts négatifs sont liés aux différents types de conflits (entre orpailleurs, avec les communautés locales et les agriculteurs), à la dépravation des mœurs comme la prostitution, la consommation de l’alcool et de la drogue, le vol et le viol, le travail des femmes et des enfants, ainsi que la prolifération des maladies sexuellement transmissibles.
Sur le plan sécuritaire, le manque de contrôle des sites d’orpaillage permet à plusieurs groupes terroristes et bandits armés de s’accaparer de l’or extrait artisanalement pour alimenter leur stock en armement. Plusieurs acteurs de terrain ont fait le lien entre l’orpaillage, le terrorisme, le banditisme et les trafics illégaux.
Pour réguler les activités d’orpaillage et les rendre plus bénéfiques aux communautés et à l’Etat, il conviendrait d’abord de diagnostiquer le problème pour proposer des solutions durables.
Diagnostic de l’orpaillage au Niger et solutions envisageables pour la réforme institutionnelle
Les différentes préoccupations socio-environnementales et sanitaires liées aux activités de l’orpaillage dans le Liptako nigérien sont bien connues par les autorités politiques nigériennes. Plusieurs activités (ateliers, séminaires et réunions) ont été réalisées par les autorités et leurs partenaires. Les enquêtes de terrain ont permis de comprendre une réelle préoccupation sanitaire, exprimée par les acteurs de l’orpaillage, concernant l’apparition des maladies dermatologiques et pulmonaires, dont ils ne connaissent pas l’origine.
En effet, les principaux défis liés à l‘orpaillage sur le territoire nigérien sont d’une part la méconnaissance du lien entre cette activité et les enjeux socio-environnementaux et sanitaires, et d’autre part le manque d’implication des acteurs locaux. Il est également difficile de transférer les connaissances acquises lors de nos travaux vers les populations du Liptako nigérien, en majorité analphabète.
Il faudrait aussi noter que les travaux de recherche réalisés par les chercheurs n’arrivent pas à atteindre les acteurs de terrain. Aussi, les acteurs d’orpaillage quant à eux n’arrivent pas à mettre leurs savoirs au service de la science. Ainsi, nos travaux de recherche ont consisté à trouver une solution permettant de travailler avec tous les acteurs de l’orpaillage, en mettant en synergie les connaissances issues de la recherche scientifique et les savoirs des orpailleurs.
Les enquêtes réalisées auprès des acteurs d’orpaillage ont permis de comprendre que les actions de fermeture des mines artisanales anarchiques ne permettent pas aux Etats de régler profondément le problème. Plusieurs sites déclarés fermés, demeurent opérationnels de manière clandestine.
Pour parvenir à une solution impliquant les chercheurs et les parties prenantes de l’orpaillage dans le Liptako nigérien, notre travail a consisté à utiliser une approche socioconstructiviste qui permet aux apprenants d’interagir ensemble dans un espace de dialogue lors d’une séance d’apprentissage. A cet effet, un jeu sérieux dénommé « LIPTAKOR » a été développé pour permettre le transfert des connaissances acquises lors de mes travaux de thèse. Les échanges avec les acteurs de l’orpaillage visent à renforcer leurs capacités sur les enjeux environnementaux et sanitaires, ainsi qu’à favoriser la réforme institutionnelle du secteur (Cercau et al., 2024).
Opérationnalisation de l’outil « LIPTAKOR » au Niger et en Côte d’Ivoire
Le dispositif LIPTAKOR a été utilisé avec succès dans la formation des acteurs d’orpaillage au Niger et en Côte d’Ivoire.
Au Niger, un atelier a été organisé en juillet 2021 à Téra (Figure 3). Il a regroupé 22 participants (15 hommes et 7 femmes) issus des 7 sites d’orpaillage de la région de Tillabéri. Il a été animé en plusieurs activités pour renforcer les capacités des participants sur les dispositifs réglementaires de l’orpaillage et la connaissance des impacts de l’orpaillage sur l’environnement et la santé et pour faciliter les échanges et l’appropriation des connaissances en utilisant l’objet-frontière qu’est le jeu sérieux « LIPTAKOR ».
A l’issue des sessions, les acteurs d’orpaillage ont exprimé avoir acquis de nouvelles connaissances sur les dispositifs réglementaires qui régissent leurs activités et la compréhension des pratiques néfastes pour l’environnement, la santé humaine et animale. Les enquêtes sur la capacité du dispositif, à favoriser le transfert des connaissances entre la recherche et le terrain, ont permis de recueillir l’évolution des perceptions et des apprentissages tout au long de l’atelier.
L’évaluation du résultat en utilisant les grilles d’observation proposées par Hassenforder et al. (2020) sur les savoirs, les connaissances et les perceptions, ont permis de comprendre que les acteurs d’orpaillage ont bien compris la dynamique de la diffusion des polluants dans l’environnement et la dégradation du paysage et des écosystèmes ainsi que la nécessité de formaliser leur activité. Plusieurs orpailleurs ont été informés des sessions de formation à l’aide de l’outil LIPTAKOR. Ils ont manifesté le besoin de formaliser leurs activités.
Il est donc nécessaire de décliner le jeu sérieux « LIPTAKOR » sur d’autres sites d’orpaillage au Niger et plus largement dans d’autres pays concernés par l’exploitation artisanale de l’or, afin d’aider à réduire les impacts environnementaux et sanitaires liés aux pratiques d’orpaillage et à favoriser la réforme institutionnelle du secteur. Si l’orpaillage est bien encadré, il permettra sans doute d’améliorer les conditions de vie de la population ainsi que les recettes fiscales de l’Etat.
Dr Maman Illiatou Oumar El Farouk/Niger