Niger : quand des vices prennent l’ascenseur, des jeunes restent sur le carreau Par Mariama Amadou Abdou

Niger : quand des vices prennent l’ascenseur, des jeunes restent sur le carreau Par Mariama Amadou Abdou

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Niamey, 21 Nov. (ANP)- La place publique Lieutenant-colonel Hassan Anoutab de Niamey est l’un des parcs aménagés au cœur de la capitale pour l’épanouissement de la population, notamment de la jeunesse. Mais l’usage que font ces jeunes de cette place trahit sa vocation.

La nuit, ce carrefour se transforme en un véritable lieu de débauche. On y voit des groupes de jeunes filles et garçons fumant la chicha par-ci, des buveurs d’alcool par-là ou encore un fort contingent des mineures faisant les pieds de grue.

Selon plusieurs personnes qui fréquentent ces lieux, les bagarres et les harcèlements sexuels, surtout en état d’ivresse, sont monnaies courantes.

« On se demande ce que deviendra notre jeunesse dans peu de temps, si rien n’est fait », s’inquiète Habibou, un taximan qui effectue ses services de nuit dans les parages.

Selon lui, le cas de cette place publique au cœur de Niamey n’est pas isolé.

« Sur presque toutes les places publiques, vous retrouverez ces genres de pratiques malsaines », témoigne le taximan, qui ajoute aussi « ceci n’est que la face visible de l’iceberg, car le pire se fait dans les lieux de loisir des périphéries de la ville ou encore dans les hôtels et consorts.’’

La consommation des stupéfiants et les harcèlements sexuels sont deux (2) maux qui gangrènent dangereusement la jeunesse nigérienne, selon un constat des autorités et des responsables en charge de l’éducation.

Les services d’enquêtes de la police nationale ont enregistré six cent cinquante-neuf (659) cas d’agressions sexuelles dont 201 cas pour la région de Niamey, a révélé, en Août 2022, la Commissaire Hassane Haousseizé Zouéra, Cheffe de Division de la Protection des Mineurs et des Femmes à une équipe de l’ANP.

Ces statistiques ne prennent pas en compte celles générées par les autres structures de prise en charge des enfants au Niger, a fait observer la source.

La haute gradée de la police a détaillé que ’’ cette délinquance qui est observée chez les jeunes se révèle sous plusieurs formes. Il s’agit principalement de la consommation des stupéfiants ; de la prostitution des jeunes ; de l’attentat à la pudeur ; du viol ; du détournement de mineurs suivi de grossesse ou d’association à des groupes de malfaiteurs’’.

Ce phénomène est facilité par « la grande consommation de la chicha et autres stupéfiants par des jeunes sur la voie publique et à la devanture des maisons au vu et au su de tous », a-t-elle fait valoir.

La commissaire Hassane Haousseizé Zouéra de souligner par la suite que ‘’les établissements hôteliers, les résidences, les bistrots, les boites de nuit et les jardins publics sont très souvent les lieux qui servent de sanctuaires à la délinquance juvénile de ces jeunes’’.

Ces lieux, soutient-t-elle, « sont des cadres d’épanouissement qui sont pris d’assaut par les mineurs malgré que la fréquentation de ces genres de lieux publics est réglementée par notre législation ».

Quand ces vices s’invitent dans les écoles

Au-delà des rues et des places de loisirs, la consommation des stupéfiants et les harcèlements sexuels se transportent jusqu’à dans les écoles, lieux par excellence de l’éducation et de transmission des valeurs.

M. Sounkari Diarra, Proviseur du lycée Issa Beri, l’une des plus importantes écoles publiques de la capitale, estime que le harcèlement en mieux scolaire est bien une réalité.

Cependant, a-t-il expliqué, « c’est souvent entouré des mystères et des choses qui sont cachées parce que ce ne sont pas des choses qu’on expose. Il faut parfois être attentif pour savoir s’il y’a des signes qui peuvent permettre de savoir s’il y’a quelque chose ».

Interrogé sur le niveau de gravité de la pratique, le responsable de l’éducation répond : « Ce n’est pas avec le nombre qu’on va dire que c’est inquiétant, parce que même avec un seul cas, ça suffit pour qu’on s’inquiète et après il faut chercher des solutions ».

Selon l’administrateur du Lycée Issa Béri, il existe plusieurs formes de harcèlements. Dans la plupart des cas, le harcèlement se fait « entre les élèves eux-mêmes ». Mais il y a aussi eu « un (1) ou deux (2) cas entre élèves et enseignant, et dans un autre cas c’est les parents de la fille qui sont venus se plaindre et on n’a essayé de gérer comme on pouvait », a-t-il relaté.

S’exprimant sur la consommation des stupéfiants, M. Diarra souligne que « c’est un cas que nous gérons à travers les conseils de discipline, parce que certains de nos élèves sont impliqués », avant d’ajouter les ces excitants « affectent [négativement, ndlr] les études des élèves, parce qu’en les consommant l’élève serait dans un état second et ça ne favorise pas surtout l’apprentissage et les études ».

Cheick Habibou Chaibou est un prédicateur musulman. Dans les années 2010, il était membre actif de l’association des étudiants musulmans du Niger (AEMN), une organisation qui fait la promotion des valeurs morales et spirituelles Islamiques en milieux universitaires et dans la société nigérienne, en générale.

Aujourd’hui, il se dit choqué de voir les vices qu’il a combattus, une décennie auparavant, prendre de l’ampleur dans les milieux académiques, un pays composé à plus de 98% de musulmans.

Au sujet des stupéfiants, le prédicateur rappelle que « L’Islam interdit la consommation de toute substance qui peut porter atteinte à l’intégrité physique et morale des personnes »,

« Partant de cette interdiction, la consommation de tous ces stupéfiants est blâmable », a-t-il averti, notant que cela contribue à la baisse de niveau académique constatée dans les écoles nigériennes.

Tout en condamnant aussi les harcèlements sexuels, l’érudit musulman rappelle aussi les parents d’élèves à l’ordre.

Concernant les harcèlements sexuels, «je pense que la responsabilité est partagée. Par exemple, un père de famille qui voit la façon [indécente] dont ta fille s’habille pour aller à l’école, tu dois te demander si elle va à l’école pour chercher le savoir, ou elle y va pour un défilé. Vraiment aux parents d’abord de tout faire pour la conseiller de s’habiller décemment », a-t-il analysé.

« Avec certains habillement que les filles font pour aller à l’école, elles s’exposent, en réalité », a-t-il par ailleurs soutenu.

Ce sombre tableau social s’explique par le recul de l’autorité parentale, la pauvreté, le mimétisme culturel ou les ‘’effets’’ des réseaux sociaux, croient savoir les spécialistes.

Il existe des mécanismes pour venir à bout de ces pratiques de dépravation de mœurs, notamment la prévention ou au besoin la répression, fait savoir la Cheffe de Division de la Protection des Mineurs et des Femmes.

La commissaire de police soutient que la prévention doit être prise en compte dans tous les programmes de la société à tous les niveaux, chez tous les acteurs intervenant en faveur de la protection des mineurs.

« Ces programmes doivent être axés sur la formation, la sensibilisation et le suivi de la situation des jeunes et les parents doivent davantage s’impliquer dans le suivi éducatif de leurs enfants », a-t-elle précisé, tout en estimant que « les tenanciers des établissements de loisir recevant le public doivent se conduire de façon responsables en évitant d’admettre des mineurs en leur sein ».

A cet effet, annonce -t-elle, « la Division de la Protection des Mineurs et des Femmes a, dans sa perspective de prévention, réalisé une vaste campagne de sensibilisation sur le terrain et dans ses locaux à travers ses brigades ».

La vaste campagne de sensibilisation réalisée par la police Nationale à travers la Direction de Protection des Mineurs pendant sept (7) semaines a touché les cinq (5) arrondissements communaux de la ville de Niamey et atteint quelques 189 établissements scolaires ; 86.205 élèves dont 52.899 filles sensibilisées sur la délinquance juvénile notamment sur la consommation des stupéfiants et la cybercriminalité. Cette campagne a aussi atteint une soixantaine de fadas avec un total de 1.108 jeunes des différents quartiers de la ville de Niamey.

Le Lycée Issa Beri fait partie des écoles qui ont bénéficié de cette campagne.

« Cette initiative était la bienvenue, parce qu’il y’a eu des informations que nous avons pu avoir pour le personnel et pour les élèves même », se souvient le Proviseur M. Diarra.

« C’était important que les gens aient un certain nombre d’informations liées au harcèlement et je crois que c’était positif. Les gens ont bien accueilli [l’initiative] », a-t-il commenté.

La répression, l’autre manche de l’alternative

Face à ces formes de délinquance juvénile, la police tend en réalité ‘’bâton et carotte’. Autrement dit, si la prévention échoue, la répression intervient.

Abordant la question relative à la répression, Mme Zouéra de signaler que’’ la Direction de Protection des Mineurs n’est pas restée les bras croisés face à ce phénomène mettant à nue toute la protection des mineurs et des femmes en violation flagrante de la législation nationale et internationale et que c’est à ce titre qu’ils ont organisé plusieurs descentes dans certains quartiers de la ville de Niamey pour des ‘’opérations coup de poing’’ afin de ratisser les lieux de délinquances dans la ville de Niamey.

Quant aux peines encourues pour les cas d’atteintes aux mœurs, elles varient selon les types d’infraction et elles sont davantage aggravées lorsqu’elles sont commises sur des mineurs ou lorsqu’elles impliquent des mineurs, fait savoir la commissaire de police.

La disposition du code pénal qui traite du Proxénétisme et l’excitation à la débauche punit d’un emprisonnement de 6 mois à 3 et d’une amende de 50.000 à 5.000.000 FCFA les proxénètes, c’est-à-dire les individus facilitant et encourageant la prostitution par aide et assistance pour fourniture de moyens, par un profil quelconque qu’ils en tirent ou en hébergeant les personnes qui s’adonnent à la prostitution, rappelle la fonctionnaire de police.

Outre ces peines, « les établissements impliqués encourent également la fermeture et retrait d’exercice et lorsque les infractions impliquent des mineurs, les peines peuvent aller de 02 à 05 ans, en plus de l’amende », -a-t-elle précisé avant de faire savoir que « dès lors nous constatons une infraction à la loi pénale en tant que service d’enquête, la procédure pénale est déclenchée et transmis au procureur ».

En dépit de ces dispositions répressives, la délinquance juvénile a encore de beaux jours devant elle ne nourrissant d’une multitude de facteurs.

AAM/CA/ANP 0122 Novembre 2022

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