Réalisé par Mahamane Sabo Bachir
Classée au deuxième rang des activités criminelles, les plus génératrices de revenus à l’échelle internationale, la traite des personnes est appréhendée comme ‘’ toute opération qui vise à recruter, transporter, transférer, héberger ou accueillir des personnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou d’autres formes de contraintes, par l’enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorités ou d’une situation de vulnérabilité ou par l’offre de l’acceptation de paiement d’avantage pour obtenir le consentement d’une personne ayant une autorité sur une autre aux fins d’exploitation’’ .
Au Niger, cette activité liberticide et carrément contradictoire aux principes des droits humains est formellement interdite. Pour rendre effective son éradication, l’Etat du Niger a créé L’Agence Nationale de Lutte contre la Traite des Personnes (ANLTP), dont la mission était, dans un premier temps la lutte contre la traite des personnes, avant de s’élargir à la lutte contre le trafic illicite des migrants.
Pour mieux comprendre la situation actuelle de la traite des personnes au Niger, une équipe de l’Agence Nigérienne de Presse (ANP) s’est entretenue avec la Directrice Générale de l’ANLTP, Mme Gozé Maimouna Gazobi.
« Le Niger est l’un des premiers pays à adopter des textes sur la lutte contre le trafic des personnes » déclare à l’ANP Mme Gozé Maimouna Gazobi.
1. question : Bonjour Madame, l’Agence Nationale de Lutte contre la Traite des Personnes (ANLTP), dont vous êtes l’actuelle Directrice Générale, a été créée par l’Etat du Niger pour lutter contre la traite des personnes sur l’ensemble du territoire national. Dites-nous Mme, pourquoi le Niger fait de la lutte contre la traite des personnes une affaire prioritaire?
La traite des personnes constitue une préoccupation mondiale sur laquelle la communauté internationale se penche depuis des nombreuses années. A titre illustratif, le rapport 2012 des Nations Unies sur la criminalité organisée, la classe comme la deuxième infraction qui génère le plus de profit en termes de retombées financière. Selon ce rapport la traite des personnes rapporte plus de 19 000 milliards de FCFA (par an) aux trafiquants.
Dans ses diverses formes et manifestations, la traite des personnes, constitue une pratique qui porte atteinte aux principes qui sou tendent les droits humains, elle dévalorise le reflet de la société, elle se heurte aux valeurs constitutionnelles de la république et enfin elle dépossède ses victimes de leurs droits les plus élémentaires.
Alors que l’article 11 de notre constitution dispose que « la personne humaine est sacrée. L’Etat a l’obligation absolue de la respecter et de la protéger », les trafiquants font de l’être humain un fond de commerce qui leur rapporte bénéfices et dividendes.
C’est la raison pour laquelle les autorités nigériennes font de la lutte contre la traite des personnes une priorité gouvernementale.En effet, nonobstant le caractère sensible du phénomène, vu sous l’angle de la religion et de la tradition la nécessité de mettre les moyens juridiques et institutionnels adéquats à la disposition des différents services et structures de la société fut l’option du gouvernement. C’est donc dans cet état d’esprit que fut adoptée l’ordonnance n°2010-086 du 16 Décembre 2010 relative à la lutte contre la traite des personnes. L’objectif de cette ordonnance est de favoriser une meilleure prise en charge des victimes mais également de punir ceux qui vivent de la misère humaine avec une exceptionnelle sévérité.
2. Quelle est la situation actuelle de ce fléau dans notre pays ? est-ce que vos interventions ont apporté des changements ?
La traite des personnes est une réalité au Niger. Ses formes les plus répandues sont l’exploitation des enfants talibés, des enfants appelé communément enfants guide-mendiants, l’exploitation des domestiques et la pratique de la Wahaya. En 2014 et 2015 nous avons organisé des collectes de données sur la traite des personnes devant les juridictions. Les rapports de ces collectes ont relevé 139 personnes poursuivies en 2014 contre 82 personnes en 2015. Cette différence des chiffres traduit l’effet dissuasif de nos interventions sur les populations. Aujourd’hui, on constate une prise de conscience, presque collective, de la gravité de la traite des personnes. Les questions d’esclavage, de mendicité forcée ne sont plus taboues du fait des débats publics que nous organisons. L’exploitation de la prostitution des jeunes femmes et enfants nigériens dans les rues de certaines grandes villes des pays voisins est une réalité. La situation justifie d’ailleurs les vagues de rapatriement de nos compatriotes de certains pays voisins afin de leur donner une nouvelle chance d’exercer un commerce honnête par la réinsertion socio professionnel avec l’appui des partenaires.
En outre nos juridictions sont de plus en plus interpellées afin de poursuivre les personnes qui s’adonnent à l’exploitation de la mendicité d’autrui, le travail forcé des enfants ou encore l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage.
3. Quels sont les moyens dont dispose votre agence dans sa mission noble d’éradiquer cette pratique illégale?
Le décret déterminant l’organisation, la composition et les modalités de fonctionnement de notre Agence a prévu un certain nombre de moyens pour son fonctionnement. En termes de ressources humaines nous avons un certain nombre d’agents mis à la disposition de l’ANLTP depuis ma nomination. Ces agents ont développé de l’expertise indispensable à la pérennité de l’agence. Le défi est de pouvoir sauvegarder cet acquit. Sur le plan financier, nous disposons d’un budget de fonctionnement alimenté par les contributions de l’Etat et des partenaires techniques et financiers œuvrant dans le domaine de la lutte contre la traite des personnes tels que l’Union européenne, le Bureau international du travail, l’Organisation internationale pour la migration et bien d’autres partenaires.
4. Malgré les efforts consentis par l’Etat du Niger et ses partenaires, la lutte contre la traite des personnes ne semble pas être une chose aisée, car le mal persiste encore. Quels sont les facteurs qui rendent votre tâche si difficile ?
La proximité de certaines formes de traite des personnes avec la culture, la religion et la tradition rend le travail des acteurs en charge de la thématique très difficile. En effet, l’esclavage dans sa forme traditionnelle, la mendicité des enfants, la pratique de la 5 eme épouse wahaya et le travail forcé des enfants sont des pratiques qu’on tente très souvent de justifier sous l’angle de la religion, de la culture ou de la tradition. Par ailleurs les non matérialisation du décret portant fonds spécial d’indemnisation des victimes de traite, l’absence d’un mécanisme de prise en charge ponctuelle des victimes de, la pauvreté, et l’analphabétisme accentuent les facteurs de vulnérabilité de nos populations face au phénomène de la traite des personnes.
5. Au sein du pays, quelles sont les localités où cette pratique est plus répandue ? Et quelles sont les formes les plus courantes ?
Selon les rapports de 2014 et de 2015 sur la traite des personnes, les juridictions d’Arlit, Agadez et Zinder ont le plus grand nombre d’affaires pendantes pour traite de personnes. Ainsi en 2014, les juridictions d’Arlit, d’Agadez et de Zinder ont poursuivi respectivement 67 personnes, 54 personnes et 16 personnes. Mais cela ne veut pas dire que ces localités sont les plus touchés car les victimes viennent de toutes les contrées du Niger.
Au Niger, la traite des personnes se manifeste à travers : l’exploitation de la mendicité d’autrui, l’esclavage sous sa forme traditionnelle, l’exploitation de la prostitution d’autrui, les servitudes domestiques, les servitudes pour dettes, le travail forcé et le trafic d’organes.
6. Le Niger étant un pays de destination des victimes de la traite, quels sont les pays de provenance des victimes de ce commerce honteux ?
Le Niger n’est pas qu’un pays de destination des victimes de traite, c’est aussi un pays d’origine et de transit. En tant que pays de destination, les victimes viennent principalement du Togo, Benin, Mali, Nigeria et du Ghana. Ces derniers temps, on enregistre des sénégalais, des centrafricains et des camerounais parmi les victimes de traite.
7. Puisque le Niger est aussi un pays de départ des victimes de la traite, en destination de quels pays les victimes sont le plus souvent transportées.
Permettez-moi de préciser d’abord que la traite des personnes n’est pas toujours internationale. Elle est souvent interne, dans ce cas les victimes sont transportées des zones rurales vers les centres urbains comme Niamey.
Maintenant pour répondre à votre question, les victimes recrutées au Niger sont transportées vers l’Algérie, la Libye l’Arabie Saoudite, le Soudan, le Nigeria ou l’Europe.
8. Avez-vous un plan de prise en charge des victimes de la traite ? Si oui, à quoi consiste- t- il ?
Pour la prise en charge des victimes de traite, nous sommes en train d’installer des centres d’accueil des victimes dans le ressort de chaque Tribunal de grande instance. Nous venons de construire le premier centre d’accueil à Zinder. Avec l’appui de l’organisation internationale pour les migrations (OIM) nous avons élaboré un manuel sur les Procédures standards opérationnelles relatives à l’identification et l’assistance aux victimes de la traite au Niger qui est dans le circuit d’adoption par le gouvernement. A ce document s’ajoute un guide pour l’identification des victimes de la traite des personnes au Niger qui sera très bientôt soumis à un atelier de validation.
Ces documents permettront d’officialiser la prise en charge des victimes que nous faisons jusque-là en collaboration avec nos points focaux et nos partenaires.
9. Pour l’année en cours, à peu près combien de dossiers, votre institution a eu à étudier ?
Les procureurs de la République sont nos points focaux sur cette question. Le procureur de la République de chaque tribunal est point focal et suit les dossiers de traite et de trafic pour l’agence. En 2015, on a recensé 82 personnes poursuivies pour traite de personnes et 80 % de ces personnes, sont des femmes.
10. Généralement cette pratique de traite d’êtres humaines se fait dans la clandestinité, (et rime parfois avec le trafic illicite des migrants). Est-ce qu’il y a lieu pour votre Agence de commencer à s’intéresser à la migration clandestine et plus particulièrement le trafic illicite des migrants?
Moi je serai tentée de vous dire que quand l’agence a été opérationnelle à partir de 2013, on a eu beaucoup de situation telle que la mort de 92 nigériens dans le désert pour lesquelles l’ordonnance sur la traite des personnes n’a pas pu permettre une meilleure répression des trafiquants nigériens. La nécessité, d’avoir une loi specifique pour le trafic de migrants s’est vite fait ressentir et il fallait combler un vide juridique. Les échanges avec les procureurs qui représentent les points focaux de l’Agence et certains responsables des forces de défenses et de sécurité autour du Ministre de la justice ont mis à jour les et insuffisances incohérences de l’ordonnance. Il est apparu évident que l’ordonnance sur la traite ne résout pas la question de trafic illicite de migrants parce qu’il s’agissait des infractions distinctes dans leurs éléments constitutifs même si les victimes subissent des souffrances similaires. Les services du Ministère de la justice ont donc travaillé pour proposer l’avant projet de loi sur le trafic illicite d’adopté le 26 Mai 2015. Actuellement le Niger est l’un des premiers pays de l’Afrique de l’ouest à se doter d’une loi spécifique réprimant les faits de trafic illicite de migrant. Et depuis l’adoption de cette loi toutes les questions relatives au trafic illicite de migrants et de migration irrégulière relèvent des attributions et compétences de l’Agence Nationale de Lutte contre la Traite des Personnes. Ce qui a conduit à la modification de l’ordonnance sur la traite des personnes, pour prendre en compte les attributions de trafic illicite de migrant.
11. Jusqu’à preuve de contraire, le Niger ne dispose pas d’une ‘’Politique Migratoire’’ (contrairement à des pays proches comme le Mali ou encore la Côte d’Ivoire). Est-ce que ce vide juridique n’est pas favorable à cette pratique criminelle ?
Il y’a une différence entre une politique migratoire et la lutte contre le trafic illicite de migrants. Généralement la politique migratoire gère globalement les flux migratoires et donne des orientations précises. C’est cela la migration positive. Elle intègre tous les aspects de la thématique. Une migration choisie et bien encadrée apporte un plus à l’Etat. Et pour qu’un Etat ait une politique migratoire efficace il faut inévitablement un texte régissant la migration et qui protège les migrants tout en réprimant ceux qui s’enrichissent sur leur dos. Et c’est en réponse à cette nécessité que le Niger a fait adopter la loi sur le trafic illicite de migrant.
Le Ministère de l’intérieur vient de finaliser le projet de la stratégie sur la migration à laquelle nous avons pris part. Les services du Ministère de l’intérieur et du Ministère de la justice coordonnent leurs actions pour apporter des réponses appropriées aux péripéties de la migration irrégulière. Rappelons si besoin est, la loi sur le trafic illicite de migrants, n’est pas une loi contre la migration, mais plutôt un instrument juridique pouvant protéger le migrant hors de son pays et ce peu importe sa nationalité. Elle prend également en charge la répression des passeurs qui font du migrant un objet de commerce ou un fonds de commerce. Par ailleurs, la loi sur le trafic illicite de migrants si elle s’applique aux nigériens ce n’est pas en tant que migrant mais plutôt en qualité de trafiquant ou complice.
12. Quelles sont les perspectives envisageables, selon vous, pour que la traite des personnes et le trafic illicite des migrants finissent au Niger ?
Jusque-là nous utilisons la sensibilisation, la formation et la répression pour réduire les risques récurrents de la traite et du trafic illicite de migrants. Ces moyens peuvent être renforcés par la mise en place des projets de développement au profit des jeunes et des femmes qui constituent les couches les plus vulnérables. A mon avis, parallèlement à nos activités de sensibilisation et de formation, il est nécessaire de mettre en place un mécanisme pour lutter contre le chômage des jeunes et la pauvreté des femmes.
MSB /MHM/ANP/Déc 2016