Tout commence le 13 juin 2015 quand, pour participer au 25e sommet de l’Union africaine, Omar el-Béchir foule le sol sud-africain. De quoi conduire l’ONG South African Litigation Centre (SALC) à introduire auprès de la justice sud-africaine une demande afin que le gouvernement procède à son arrestation. Explication : des poursuites ont été engagées contre lui par la CPI en 2009 et 2010 pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide dans le conflit de la province soudanaise du Darfour. De fait, dimanche, un tribunal de Pretoria lui avait interdit de quitter le pays tant que la justice sud-africaine n’aurait pas statué sur son cas, une première sur le continent africain en réponse à une demande de la CPI. Une chose est sûre, l’entourage de M. Béchir n’a jamais semblé inquiet. « Cette action en justice, c’est l’affaire du gouvernement sud-africain. (…) Nous sommes ici comme hôtes du gouvernement sud-africain. Des assurances ont été données par ce gouvernement », a d’ailleurs déclaré le ministre soudanais des Affaires étrangères, Ibrahim Ghandour.
Bis repetita pour Pretoria
Quoi qu’il en soit, l’avion a décollé à la mi-journée de ce 15 juin d’un aéroport militaire de Johannesburg, et les autorités de Khartoum ont rapidement confirmé que le dirigeant soudanais était en route pour son pays. Une information loin d’être anodine dans le contexte d’opposition de points de vue entre la Cour pénale internationale et l’Union africaine. Et ce n’est pas la première fois que Pretoria est impliquée dans la controverse autour du cas de M. el-Béchir. Pour rappel, le président soudanais avait été invité à assister à l’investiture du président Jacob Zuma en 2009, mais aussi à la Coupe du monde 2010. Cela avait suscité un tollé et contraint le gouvernement sud-africain à annoncer qu’il risquait de l’arrêter s’il foulait le sol sud-africain. Finalement, rien n’a été fait d’où l’aigreur de la CPI à l’endroit de l’Afrique du Sud dans la droite ligne de l’approche d’autres pays de l’Union africaine.
De quoi s’agit-il ?
La CPI est une institution permanente, indépendante chargée de juger les individus ayant orchestré et exécuté les crimes les plus graves ayant une portée internationale, notamment les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et le génocide. En tant qu’État signataire du Statut de Rome portant création de ladite Cour, l’Afrique du Sud est en principe obligée d’arrêter le président soudanais dès lors que celui-ci se trouve sur son territoire. Activement impliqués dans la création de ce tribunal international, les pays africains sont maintenant à couteaux tirés avec lui.
L’historique du contentieux entre l’UA et la CPI
Les relations ont commencé à se détériorer dès lors que l’UA a soupçonné et accusé la Cour de pratiquer une justice partiale envers l’Afrique. L’explication : toutes les personnes inculpées jusqu’ici sont des Africains. « Ce sont les deux premiers mandats d’arrêt à l’encontre de Omar El-Béchir pour génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité au Darfour qui ont entraîné une réaction violente contre la Cour par une minorité de dirigeants africains, et débouché sur l’appel de l’Union africaine demandant aux gouvernements africains de ne pas coopérer pour l’arrestation de M. Béchir », note l’analyste politique, Elise Keppler, citée par Craig Urquhart, correspondant de l’agence Panapress en Afrique du Sud. Il faut dire que la Cour a également tenté de juger le président kenyan. Elle a finalement abandonné ses charges contre Uhuru Kenyatta à la suite de la disparition de plusieurs témoins clés, ce qui n’a pas empêché la brouille entre l’UA et la CPI de devenir de plus en plus violente.
Le gouvernement fustigé par la presse sud-africaine
Dans son analyse de la situation, Craig Urquhart, correspondant de la l’agence Panapress en Afrique du Sud, indique combien la presse sud-africaine désapprouve l’attitude du gouvernement. Celle-ci, notamment le Star, considère qu’il s’agit là d’une « crise diplomatique sans précédent ». « C’est peut-être le test ultime, non seulement pour les responsabilités doubles de M. Zuma – auprès de la CPI et de l’UA -, mais aussi pour la cour elle-même. Face à la baisse significative de ses ressources et le rejet de l’UA, il semble que les événements qui se jouent en Afrique du Sud autour de M. el-Béchir pourraient sonner le glas pour cette juridiction », écrit le quotidien. La presse va même jusqu’à accuser le gouvernement de déclencher une crise internationale. Aussi, l’éditorialiste du journal Business Day estime-t-il que le gouvernement « joue un jeu dangereux avec les obligations juridiques locales et internationales » depuis qu’il a invité M. el-Béchir à assister à la Coupe du monde Fifa 2010. Conclusion du Citizen un brin patriotique : « L’Afrique du Sud ne doit pas se laisser intimider par les membres de l’UA qui ne sont tout simplement pas préparés à honorer leurs engagements en termes de droits humanitaires. » Pas de doute, cet épisode de la saga el-Béchir lié au 25e sommet de l’UA laissera des traces.
Par Malick Diawara