Niamey, 04 juin (ANP) – Des autorités du Niger et leurs partenaires ont mis en place depuis 2017 ‘’des sites d’accueil d’écoliers pour assurer la continuité de l’éducation’’ dans la région de Diffa (Est) en proie aux violences de Boko Haram, mouvement nigérian actif dans le lit du lac Tchad, explique-t-on à la direction régionale de l’éducation nationale de la zone.
« Tous ces acteurs se sont investis pour pouvoir faire de la continuité de l’éducation un crédo », fait savoir Nouhou Hassane Diori, adjoint au directeur régional de l’éducation nationale, expliquant que les sites d’urgences sont l’une des réponses apportées dans le secteur éducatif avec des premiers sites en 2017.
La formule consiste à recenser des enfants déplacés suivant leurs lieux d’origines et leurs niveaux scolaires pour reconstituer des écoles, à peu près comme elles étaient dans les localités disloquées, détaille-t-on.
Il s’agit de déplacer sur un site jugé plus sécurisé 2,3 4 ou 5 écoles des zones d’insécurité, ce qui est un moyen d’instaurer la continuité de l’éducation et cela a conduits, à l’époque, à créer des sites d’urgences, explique le responsable éducatif.
La région compte une dizaine de site. Toutefois, « les sites d’accueil ne sont pas pérennes. Ce sont des mesures d’urgence pour faire en sorte que la continuité des cours soit assurée avec l’appui des partenaires qui essaient d’apporter le minimum des dotations en fournitures scolaires, des nattes, etc. Parfois, ces acteurs arrivent même à construire des structures évolutives », fait remarquer M. Diori.
L’école du village d’Awaridi (situé à 5 km à l’Est de la ville de Diffa), formée par une mosaïque architecturale de ses classes est un des sites. La plupart de ses salles sont construites en matériaux définitifs, alors que d’autres sont faites des tentes TLS, de pailles, des structures métalliques …
A côté de ces cases de fortune, se dressent également des tentes en bâche portant le sceau des organisations humanitaires qui en ont fait le don et qui sont aussi utilisées comme classes.
Pour la plupart des cas, ces cases et tentes abritent, en effet, des classes reconstituées des populations ayant fui les attaques sporadiques du groupe armé non étatique (GANE), plus connu sous le nom de ‘’Boko Haram’’, opérant dans tout le bassin du Lac Tchad.
« Le site d’accueil d’Awaridi abrite non seulement l’école initiale d’Awaridi et celles d’Assala 1 et 2, qui sont deux écoles reconstituées venues de Gueskerou », indique Mme Elhadj Diagara Fana, directrice de l’école et du site d’accueil d’Awaridi.
« Il y a quelques années, le site abritait également les écoles Baroua 1 et Baroua 2. Mais comme la stabilité est revenue dans leur localité d’origine, ces deux écoles s’y sont réinstallées », ajoute l’administratrice qui détient également une classe du CM2.
A quelque trois (3) km d’Awaridi, se trouve l’école du village de Digargo qui est également un site d’accueil. Ici également, on retrouve quasiment les mêmes schémas architecturaux des classes que sur le premier site.
Parmi les écoles accueillies sur place, il y a l’école de Koursari, une autre localité dont les populations ont trouvé refuge près de ce site.
« L’école de Koursari s’est installée ici suite aux attaques terroristes que le village a connues, ce qui nous a poussés à nous déplacer. Ça fait trois (3) ans que nous sommes ici », souligne Saley Aboubacar, directeur de l’école accueillie.
« Ici, on peut dire que les conditions sécuritaires sont meilleures à notre lieu de provenance. Mais cela n’exclut pas la vigilance. La menace plane toujours », ajoute-t-il.
Sur les sites, a-t-on appris, les élèves et les enseignants sont identifiés pour reconstituer au maximum les classes telle qu’elles étaient dans leurs localités d’origine.
Les enseignants, la peur dans le ventre
Généralement les sites d’accueil sont à la périphérie des centres urbains. Malgré les mesures sécuritaires prises, les enseignants se font très vigilants.
« J’habite à Diffa. Je fais la navette chaque jour entre la ville et ce site à cause de l’insécurité. Les risques sont énormes pour un enseignant comme moi s’il reste ici pour passer la nuit. Par exemple, il y a le risque d’être enlevé, d’être exécuté ou au moindre des cas, se faire dépouiller de tous ses biens », explique Saley Aboubacar, le directeur de l’école de Karsari localisée sur le site de Digargo.
Le site d’Awaridi qui compte 25 enseignants, seuls les deux hommes de l’équipe passent la nuit sur place, car ils sont tous des déplacés. Les 23 autres femmes font quotidiennement la navette entre le site et la ville de Diffa.
Les enseignants de ces deux (2) sites, note-t-on, paient le transport à leurs frais (environ 1.000 F CFA chaque jour), ce qui pèse lourd sur leur faible revenu, surtout que pour la majorité, ils sont des contractuels.
« Dans plusieurs localités, les attaques sporadiques se multiplient ces derniers temps. Et une nouvelle situation est venue s’ajouter, à savoir le kidnapping. Tout comme les autorités locales, les enseignants sont également des proies privilégiées. C’est pourquoi ils ne peuvent pas rester sur place à cause de ces dangers. La solution, c’est donc de rester dans les centres urbains et faire la navette entre la ville et le centre urbain », ajoute Nouhou Hassan Diori.
« En quittant, il y a aussi des heures qu’il ne faut pas dépasser, car les véhicules de transport ne circulent pas à certaines heures à cause de l’Etat d’urgence et du couvre-feu. Il faut quitter le site entre 15 et 16h, ce qui dénote que le temps scolaire est réduit », note le responsable régional de l’éducation.
Selon Saley Aboubacar, « la navette est très difficile car il faut venir et retourner chaque jour à ses frais ».
Selon cet enseignant, « le programme scolaire est perturbé par le retard des enseignants quand ils n’arrivent pas à avoir de taxi à temps ou quand le taxi tombe en panne en cours de route. Le retard cumulé à la réduction du volume horaire d’enseignement impacte négativement sur le niveau de nos élèves ».
Outre l’insécurité, les enseignants se plaignent du travail des enfants durant les heures des cours.
« 80 à 90% de nos élèves viennent des villages environnants et des communautés déplacées. La scolarité de ces enfants est confrontée à des perturbations à cause des déplacements des parents qui les amènent avec eux. Ces déplacements sont généralement économiques, comme la recherche du coupon ou des voyages sociaux comme les mariages, les baptêmes, qui peuvent prendre des jours, voire des semaines. Ces déplacements les mettent en retard par rapport aux élèves », selon Mme Elhadj Diagara Fana.
« Il y a aussi des parents qui emploient leurs enfants dans des petits commerces durant les heures des classes. Nous avons fait un grand travail de sensibilisation afin que ces pratiques cessent, mais les parents ne coopèrent pas. Après une période d’absence, ces enfants sont devancés par leurs camarades », ajoute la source.
Un programme de cours taillé sur mesure
La peur de l’insécurité et l’indisponibilité des moyens de transport à des heures avancées de la soirée induisent une réorganisation du travail, marquée notamment par la réduction du volume horaire des classes.
Dans les lieux où il y a la sécurité, les cours se font de 08 h à 12 h, avec une pause de 30 minutes entre 10 h et 10 h 30, et le soir de 15 h à 17 h 30. Ce qui n’est pas le cas sur les sites d’accueil, où les cours se font de 10 h à 12h, avec la pause de 30 minutes et de 13 h à 15 h.
« L’enseignement dans ces sites est tout particulier, car les élèves sont pour la plupart traumatisés avec les parents par les attaques et déplacements forcés. Ils sont donc dans des situations psychologiques instables. Certains ont tout perdu, ils ont perdu des proches, ils sont donc très marqués. Il y a des classes où les élèves sont de plusieurs statuts : des autochtones, des réfugiés, des déplacés ou même des retournés », indique M. Diori.
Depuis 2017, les acteurs gouvernementaux de l’éducation et leurs partenaires mettent en œuvre toute une batterie de reformes pour prendre en charge les enfants des populations déplacées.
Ces partenaires apportent également divers apports.
« Avec tous les acteurs, nous avons harmonisé les apports pour qu’il n’y ait pas de doublon, c’est-à-dire que chaque partenaire doit s’occuper d’un volet différent de celui des autres. Ces apports concernent, entre autres, les infrastructures, les fournitures scolaires, les matériels didactiques, les formations des enseignants, la prise en charge des programmes », renseigne Hassan Diori.
« En ce qui concerne les programmes scolaires, il y a le programme officiel et le programme de renforcement des capacités ou de mise à niveau », poursuit-il.
A tous ces problèmes, les acteurs de l’éducation proposent des pistes de solutions
« Il faut poursuivre et renforcer la synergie d’actions entre les acteurs étatiques de l’éducation et les partenaires. Cela nous permettra d’identifier à chaque moment les vrais besoins. Et là, ensemble, nous allons agir. Très malheureusement, nous nous rendons compte que parfois certains partenaires agissent seuls ou font des planifications sans associer la Dren, autrement dit des planifications conçues à l’avance, ce qui ne correspond pas parfois aux besoins réels sur le terrain. Le Groupe de Travail Éducation (GTE) de Diffa assure la COORDINATION DES ACTIONS », souligne Nouhou Diori.
Par rapport au travail des enfants à l’heure des cours, Mme Elhadj Diagara estime que « l’Etat doit nous aider dans ce sens, ne serait-ce que par voie radiophonique pour que ces pratiques cessent. C’est l’avenir de ces enfants qui est en jeu. Je sais que des efforts sont fournis dans ce sens, mais ce n’est pas suffisant ».
En Avril 2024, on recense 24 écoles fermées, toutes du primaire, reparties sur l’ensemble du territoire régional, impactant ainsi, à l’époque, 1484 élèves, dont 780 filles et au moins 31 enseignants, selon les chiffres fournis à l’ANP par la direction régionale de l’éducation nationale’
Les perturbations causées par l’insécurité sur le secteur éducatif, concernent principalement huit (8) communes, selon les informations recueillies auprès des autorités régionales. Ce sont les communes de Diffa, chef-lieu de la Région ; Mainé Soroa ; N’Guigmi ; Kablewa ; Bosso ; Toumour ; Guskérou et Chétimari.
« Vraiment sur le plan éducation, ce sont les 8 communes qui sont les plus impactées. Mais d’autres localités sont également touchées, comme les Communes de: N’Guel Beyli, Foulatari, N’Gourti et Goudoumaria. Pour ces dernières localités, l’impact n’est pas peut-être immédiat, mais il peut se sentir à long terme », précise le directeur régional adjoint de l’éducation de Diffa.
Au plus fort des attaques du mouvement, une centaine d’écoles ont été fermées dans le sillage des populations fuyant l’insécurité.
MSB/AS/CA/KPM/ANP juin 2024