Niamey 11 Mars (ANP)- Les sanctions imposées par la communauté des Etats de l‘Afrique de l’Ouest (CEDEAO) contre le Mali et le Burkina Faso auront des répercussions négatives sur les activités et le fonctionnement du G5 Sahel, selon plusieurs analystes interrogés par l’ANP.
La CEDEAO a décidé, entre autre, de la suspension du Mali et du Burkina de toutes ses instances. De plus contre le Mali, l’organisation communautaire a acté pour la fermeture des frontières de tous ses Etats membre avec le pays. Ces mesures font suite aux coups d’Etat survenus dans ces pays, pour le cas de Mali le calendrier proposé par les nouvelles autorités a été jugé ‘’inacceptable’’.
Ces deux pays, rappelle-t-on, forment avec le Niger (également membre de la CEDEAO) le Tchad et la Mauritanie le G5 Sahel, une organisation qui a pour vocation la lutte contre le terrorisme et la promotion du développement dans les cinq pays.
« Avec l’évolution de la situation où le Burkina et le Mali qui sont membres en temps de la CEDEAO, se trouvent rejetés de la CEDEAO, il reste clair que cela aura un impact porté sur leur participation au G5 Sahel », prévient le Professeur Souleymane Kouyaté du Mali, pour qui « ces deux pays en question ne vont jamais vouloir prendre l’initiative [le G5 Sahel, ndlr] avec autant de sérieux qu’ils auraient dû le faire ».
« Naturellement l’impact sera là : ces deux pays vont tourner dos et ne trouverons pas un intérêt vigoureux dans cette initiative, et cela va faire que l’initiative risque de s’estomper, car leur participation risque d’aller au minimum », ajoute l’universitaire malien.
« La fermeture des frontières va impacter non seulement les activités d’ordre économique, mais surtout les activités qui relèvent de la lutte contre le terrorisme, donc de gestion des questions sécuritaires au sein du G5 Sahel », analyse, pour sa part, le journaliste nigérien Lamine Souleymane.
Selon le spécialiste nigérien, « cette fermeture des frontières va réduire une marge des manœuvre des différents pays » membres de l’organisation du fait que « le climat est tellement [tendu] entre les différents pays de la CEDEAO ou même la communauté internationale, d’une part et le Mali d’autre part ».
Mais les choses ne se présentent pas de la même façon pour le journaliste malien Ibrahim Haran Diallo, qui pense que la suspension de ces deux pays des instances de la CEDEAO « ne peut pas à court ou moyen terme être un obstacle au fonctionnement du G5 Sahel, d’autant plus que le G5 Sahel est un organe militaire alors que la CEDEAO est une organisation politique et économique ».
« Ce qui pourrait être, de mon point de vue, un handicap au fonctionnement du G5 Sahel, c’est plutôt à long terme si cette dite montée en puissance de l’armée malienne perdurerait »
Selon lui, les armées malienne et burkinabè sont en train d’engranger des succès ces derniers temps faces aux groupes radicaux violents avec le référent musulman [le terroristes, ndlr].
« Donc si cette montée en puissance (…) continue dans la durée, c’est là où on pourrait parler d’obstacle au fonctionnement du G5 Sahel », car « si déjà au niveau de chaque pays l’armée nationale qui a vocation à faire ce travail régalien arrive à le faire par la manière la plus belle, on se demanderait effectivement à quoi servirait les autres forces régionales, sous régionales ou internationales. Voilà dons de mon point de vue des aspects qui pourraient remettre en cause (…) l’existence de ces forces multilatérales ».
Le G5 Sahel, indique-t-on, est soutenu financièrement par divers partenaires bilatéraux et multilatéraux. L’évolution de la situation politique au Mali et au Burkina peut d’être un obstacle à la bonne mobilisation des ressources pour l’organisation, selon les analyses recueillies par l’ANP.
« Naturellement ça va avoir un impact négatif sur la mobilisation des ressources. La preuve est que d’abord il y avait une situation semblable qui est le cas de Takuba, qui commence déjà à se défaire à cause du fait il n’y avait pas suffisamment de mobilisation ou sensibilisation de la part de cette organisation auprès des Maliens qui sont en train de vouloir rejeter pratiquement ce regroupement. C’est de la même manière que les choses risquent d’évoluer au niveau du G5 Sahel. Alors puisque pratiquement les mobilisateurs des ressources du G5 Sahel sont en grande partie prenantes ceux de Takuba, il va de soi que ce soit une déception qui risque de se prolonger et d’aller jusqu’au niveau du G5 Sahel. Donc le problème de mobilisation des ressources, il faut s’y attendre. Ça serait naturel », explique le Professeur Kouyaté du Mali.
Pour le journaliste Ibrahim Haran Diallo de Bamako « la contribution des partenaires internationaux compte beaucoup en matière de financement des activités du G5 Sahel. Alors il est tout à fait inquiétant aujourd’hui avec la situation politique et militaire au niveau de ces deux pays ».
« Est-ce que le robinet ne va pas être fermé de la part des partenaires multilatéraux notamment, l’Union Européenne, l’Union Africaine, par exemple ? », s’interroge le confrère.
Pour le journaliste nigérien Lamine Souleyman « Malheureusement » la situation politico-militaire au Mali et au Burkina Faso « va créer au-delà même du souci financier. D’un point de vue organisationnel, ça va porter même un coup dur » au G5 Sahel, avertit-il.
Interrogé sur l’impact cette situation politique interne au Mali et au Burkina sur les relations avec les autres pays membres, Lamine Souleymane répond que : « Ces coups d’Etat au Mali et au Burkina vont enfoncer le G5 Sahel (…) dans une inertie, car l’institution est imputée de deux poids lourds, deux pays qui font partie de ce qu’on appelle la zone des trois frontières, mais très malheureusement qui constitue le noyau du G5 Sahel », regrette-t-il.
« Ces pays sont aujourd’hui en marge de toutes les activités qui vont être menées, en particulier du côté de Bamako. Car cette structure est un instrument dans les mains de la France qui régente tout ce qui est stratégie de lutte contre le terrorisme au Sahel, lui permettant également de garder son influence dans son pré-carré. C’est vrai, il y a cette question de léthargie, mais aujourd’hui, on peut même parler de la question de surclasse du G5 Sahel, étant donné de la situation d’instabilité politique dans ces deux pays.
Tout comme l’analyste nigérien le Professeur Kouyaté répond à cette question tout en indexant ‘’la manipulation’’ française.
« Naturellement, avec le développement de la situation au Burkina Faso et au Mali, il reste clair que ce sont des pays qui ont des positions par rapport au travail avec les français, des positions mieux tranchées par rapport à l’ancien colonisateur et qui font que ces pays désavouent le néo-colonisateur », soutient-il.
Aussi, selon cet ancien Recteur de l’Université de Ségou au Mali, « L’évolution de la situation politique dans ces deux pays aura naturellement une percussion fâcheuse sur le point de vue des autres pays (…) cela peut pousser à aller davantage vers l’escalade dans les relations avec la France ».
Quant au journaliste malien interrogé, il fait savoir qu’ « à long terme, la situation dans ces deux pays pourrait impacter négativement sur l’émail du G5 Sahel et même la performance dans une certaine mesure, surtout au cas où les sanctions perdurent ».
Car selon lui « le G5 Sahel, dans son fonctionnement, les bataillons doivent être au niveau des frontières des différents pays membres pour que chacun, de son côté, puisse contrer les groupes violents avec le référent musulman. A long terme, s’il y a cette fermeture de frontières et que les coups d’Etat continuent encore, parce que d’aucuns estiment que c’est le printemps de l’Afrique, c’est sûr que cela va mettre en mal le fonctionnement du G5 Sahel dans la pratique.
Selon les analystes, le G5 Sahel a perdu son cohésion initiale depuis les sanctions de la CEDEAO. Des sanctions qui isolent diplomatiquement le Mali et le Burkina Faso des autres membres, à savoir le Niger, le Tchad et la Mauritanie. Cette absence de cohésion au sein de l’organisation de lutte contre le terrorisme au Sahel peut être en faveur des groupes terroristes, selon les experts.
« La possible léthargie de l’institution sahélienne pourrait renforcer les groupes radicaux violents avec le référent musulman au même titre que les autres groupes armés, les narcotrafiquants ou encore le grand banditisme », analyse Ibrahim Haran Diallo, qui rappelle que « c’est parque ces actions d’insécurité ont prospéré à un moment donné dans ces pays qu’il y a eu la nécessité de mettre en place le G5 Sahel ».
Il renchérit en affirmant que « chacun de ces pays individuellement pris a montré ses limites en matière de lutte contre l’extrémisme violent. Donc c’est la raison pour laquelle il y a eu la force conjointe pour que les efforts puissent être mis ensemble pour parvenir à bout de l’insécurité dans ces zones, notamment la zone des trois frontières. Donc si ce système dysfonctionne, c’est sûr que ça ne pourrait que renforcer militairement les groupes armés terroristes ».
Pour l’enseignant-chercheur malien, « c’est une évidence ». Une évidence en ce sens que les prémices sont déjà apparues quand on a vu des velléités de réorganisation des partenaires de la partition du Mali à travers une réunion qui a eu lieu récemment en Italie où les tamasheqs et les autres groupes armés se sont retrouvés pour essayer de parler encore de ce vieux projet de la partition du Mali où on parle de l’Azawad ».
« Il y va de soi qu’un G5 Sahel affaibli pousse ces gens de penser que les forces sont en train de se disperser et la force de frappe globale va se réduire et cela serait un terrain très propice pour faire revenir ce projet de partition », ajoute l’ancien Recteur de l’Université de Ségou.
Au-delà de la situation conjoncturelle liée aux crises politiques dans les deux (2) pays sahéliens, les Etats regroupés au sein du G5 Sahel ne sont pas à même d’assurer leur propre sécurité sans l’appui des partenaires extérieurs, soutiennent ces personnes sources consultées par l’ANP.
« Le Etats membres du G5 Sahel doivent pouvoir évoluer stratégiquement et financièrement sans l’appui de l’extérieur. C’est ce qui est l’idéal. Mais aujourd’hui dans la pratique, l’on se rend compte que ce n’est pas possible », l’homme de média malien.
Selon Ibrahim Haran Diallo cette situation est liée à un manque de volonté politique de la part des pays membres du G5 Sahel.
« Aucun des pays membres n’a pas pu payer sa quote-part de leur engagement financier pour l’opérationnalisation des actions militaires. C’est pourquoi je pense que c’est une question de volonté politique. Sinon chaque pays du G5 Sahel est en mesure de payer sa contribution pour que les opérations puissent être régulières et efficaces. Malheureusement dans la pratique, on voit que même les rencontre du G5 Sahel sont appuyées et soutenues par l’extérieur », souligne-t-il.
MSB/CA/ANP 0073 Mars 2022